EUROMARKT - MAGAZINE

                              le magazine européen par excellence

 
 

               

                L i t t é r a t u r e 

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      - Voici un extrait de trois de nos ouvrages pour vous donner envie d'en savoir plus et de les commander.

 

    - Les lectrices et lecteurs peuvent nous transmettre des passages de leurs oeuvres, afin que nous puissions les faire paraître dans cette rubrique.

                                  Bonne Lecture...


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                       C O N T E    D U    F A R O N   :

                             L a    G a l i n e    V e r t e .

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     Cette veillée de la saison allait devenir mémorable. Il avait fait toute la journée un temps très lourd. Les petits, à cause de la chaleur, étaient énervés comme des mouches, hargneux telles des teignes ravagées par un vent très violent. Les taloches voltigeaient au-dessus des crânes sans les toucher, car dans le Midi on ne frappe pas les enfants même avec des plumes. Granie éleva la voix et le groupe de gamins se calma. Il n'était pas du tout question de l'énerver. Le silence se rétablit et pendant que les doigts s'occupaient à éplucher les haricots pour le déjeuner du lendemain le récit des Contes du Faron se déploya dans la nuit piquetée d'étoiles fixées dans le ciel. Toutes les cigales s'en donnaient à coeur joie sous les orangers pendant que la lune se levait au-dessus de la pinède.

     .-- Il était une fois, commença Granie, la Grand-Mère des enfants assis tout autour d'elle sous l'olivier, une petite fille de onze ans qui vivait dans la Bastide de l'Aigle, ici-même, sur notre chère montagne du sud de la France, nommée le Faron près de Toulon. Cette fillette s'appelait Bess.

     .-- Tout comme moi, s'écria l'enfant que Granie choyait entre tous, parce c'était la plus innocente, si fragile qu'on la surnommait Saint Jean Bouche d'Or, de par sa grande ingénuité congénitale.

 

     .-- Cette enfant, reprit la vieille femme, avait des pouvoirs magiques, mais elle ne le savait pas. Où plutôt elle ne voulait pas en entendre parler. Comme la jeune Bess d'aujourd'hui, elle ne savait que courir dans les garrigues de la colline, au milieu des animaux insouciants et des arbres chanteurs. Elle avait un camarade de son âge qu'elle aimait beaucoup. C'était le petit Tienet, fils du Toine de la pauvre masure de la Croix de l'Aubisque. Mais lorsque dans cette partie nord-est du Mont Faron le soleil se couche sur les mimosas la vieille cabane se couvre d'or.

     Les deux enfants s'adoraient et tout aurait dû être bien dans le meilleur des mondes, mais il y avait un os. En effet, par malchance, le petit Tienet n'allait jamais à l'école, à cause qu'il avait une jambe plus courte que l'autre.
     
     Un matin, qu'il avait voulu sauver son canari de la gueule du chat, il était tombé malencontreusement sur la pierre de l'entrée qui sert à détacher la terre du fond du pantalon et pour ça, nommé communément "gratte-cul". Là, il s'était fait mal presque irrémédiablement. Du coup il avait pris prétexte de la douleur de la jambe pour ne plus descendre jusqu'à la classe du maître Martin. Et le père qui n'avait plus que lui depuis la mort de la mère, n'osait pas insister à cause de la mauvaise santé du genou.

    Oh! Il aurait pu s'il avait voulu en faisant un très, très grand effort, descendre au village, au pied de la montagne pour suivre l'étude. Mais il préférait faire l'école buissonnière.

     Car il faut vous le dire, il aimait beaucoup les oiseaux. Il adorait tellement tout ce qui vole : les faisans, les perdrix, les alouettes, les serins, les ramiers, les bécasses, les étourneaux, les oies cendrées, les hirondelles, les pigeons voyageurs, les cigognes et tous les autres, qu'il trouvait ainsi toujours une invention pour rester avec eux.

      Et peuchère ! Des oiseaux, il y en avait beaucoup à l'Aubisque ! Tienet, il les connaissait tous. Ils venaient lui apprendre plus de chose qu'il aurait pu en découvrir dans les livres. Les pinsons lui faisaient faire des dictées de triolet que l'enfant recopiait avec les aiguilles des pins. Les grives, les merles, les moineaux traçaient avec leurs pattes, des lettres dans le sable pour lui montrer l'écriture. Le rossignol lui enseignait le chant : Tuou, tuou, tsiii...

     Il se faisait la lecture avec l'heure de l'horloge du village d'en-bas et avec les graffitis des murs de la Mairie, grâce à l'aigle qui lui montrait comment aiguiser son regard pour le rendre aussi perçant que le sien. La pie lui apprenait le calcul mieux que les savants. Et puis il n'y avait pas que les lettres, les mathématiques, les chiffres, le chant, la musique, le dessein que l'enfant apprenait de ses maîtres à plumes. Il y avait aussi la ruse, car les volatiles du Faron sont très rusés. Ce sont les animaux les plus rusés de tout les animaux qui volent.

   Il en exite 365, un pour chaque jour de l'année. Et chacun avait sa spécialité. Leur manière à tous est celle du "Trompe Chasseur". Car c'est bien une bonne action que de ridiculiser cet être malfaisant toujours prêt à tuer le gibier inoffensif. Naturellement, en cas de disette, personne ne dit rien. 

   

     C'est une légitime défense pour cause de survie. Mais MEFIANCE! Si c'est pour le plaisir, alors le Faronnais qui tient beaucoup à sa faune à poil ou à plume, y se fâche rouge. Parce que les assassins d'oiseaux, de lapins ou même d'escargots, c'est toujours des estrangersses.  Jamais des autochtones.

     Donc avec des professeurs pareils, Tienet il avait pas besoin de rejoindre les autres élèves. Mais Bess insistait tellement qu'un matin, il décida de l'accompagner. Alorsse qu'ils s'engageaientt dans le sentier, clopin-clopant, balinette-balinant sur le chemin de la descente abrupte, ils virent arriver un de ces ignobles individus déguisé avec des vêtements de camouflage vert-marron et des branchages sur la tête.  HI-DEUX !

     Les deux enfants reconnaissent tout de suite, Jo Mélou, dit le Cakou, frère de Maître Mélou le notaire. Et tout de suite, y se cachent derrière le buisson pour voir ce qui se passe.

     Après avoir fait tout son esbrouffe,  Jo le Cakou lâchant d'énormes jurons malsains et tapant du pied pour bien se faire remarquer de tout le gibier du voisinage,  y se déshabille complétement. Il place les vêtements avèque le fusil sur un petit arbuste, de façon à faire croire qu'il y a là un chasseur chassant au cul levé. Et une fois tout nu, il va se cacher dans un fourré de derrière pour espincher dans l'attente.  

     Au bout d'un moment la Galine Verte en promenade matinale, elle débarque gentiment. C'est une oiselle très particulière. Quand elle se pose par terre, de face elle se confond en tous points à l'herbe drue. Mais de face seulement. Ce jour-là, lorsque la Galine Verte voit cette sorte d'épouvantail représentant le chasseur, elle se fait pas de mauvais sang. Elle connait bien le Cakou. Elle sait qu'il la rate toujours. Sans affolement, elle se pose dans la verdure, pouf, face au piège pour se mélanger tout à fait aux brins d'herbes. Pôvre malheureuse! Parce qu'elle sait pas qu'elle est devant un vulgaire déguisement!

     Du côté du danger, elle est bien devenue invisible. Mais par derrière, le chasseur peut contempler la bestiole dans toute sa splendeur. Ce qui fait que l'ignoble personnage bondit brusquement, l'attrape et la met telle quelle dans sa gibecière.

     Bou Diou! Le pauvre Tienet est sur le point de se trouver mal. Il veut sauter sur le répugnant pour lui arracher les yeux. Mais Bess le retient en lui disant, avec raison, qu'un être aussi cruel est capable de les tuer également tous les deux.

     .-- Té! Je sais ce que je vais faire, s'écrie Tienet. Je vais appeler la Poule du Diable.

     C'est une bête du démon, dite familièrement la Poupoule. Elle est plus grosse qu'une dinde de Noël, forte comme un boeuf et presque aussi grande qu'une autruche. L'affreux gallinacé sort surtout à la Toussaint pour, dans sa promenade, insulter avec grossièreté tous les méchants qui se trouvent sur son passage. Tienet pousse son petit cri d'appel: Tihou, Tihouhou...

     Et la Cocotte infernale que l'enfant avait déjà sauvée plusieurs fois du danger, arrive à toute vitesse. Elle voit tout de suite la scène: la Galine Verte dans la gibecière et les pleurs des deux pitchouns. Vite, sans perdre de temps, elle se précipite sur le Nuisible en criant: "Cokéri Ko!"

     Puis elle le provoque en ricanant d'une voix terrible et très intelligible:     .-- "Veni, veni mi cercar!". Ce qui veut dire : "Viens donc me chercher!"  Pour finir, elle se met à l'insulter de tous les mots corrompus que le diable lui a appris : "Cagole, pute-borgne, cougnias, carogne, vérole, bordille, fan dé chicou", plus bien d'autres qu'on ne peut répéter, ici. Elle vomit grassement ces mots délétères qui sentent le soufre. A cet instant, Jo le Cakou se rend bien compte que c'est un volatile peu ordinaire. Il prend peur. Il se dit alors :  .-- "Aqueste aco ?" Est-ce que ce serait la Poule du Diable, celle qui sort surtout le jour de la Toussaint ?

     Et OUI ! C'est elle ! Quelle horreur ! Alors, à ce moment-là, il lui prend les trois sueurs. Effrayé, il se met à battre en retraite. Mais l'animal avance vers lui. Il recule, recule de plus en plus vite ! Elle lui court dessus. Impossible de s'en débarrasser.

    Malheureux ! Effarouché, la gorge serrée, les globes des yeux lui sortant des orbites, le cago-batô prend ses jambes à son cou, oubliant tout : le fusil, les vêtements, la gibecière... Ce qui fait que Tiénet n'a plus qu'à libérer la pauvre Galine qui s'enfuit en lui disant : "Merci, je te revaudrai ça !"

    Pendant ce temps, l'ignoble, l'infâme, l'abject dégoûtant, poursouvi par la Poupoule, descend le Faron à toute vitesse. Il arrive en-bas, dans les rues de Valbourdin. Et tout le monde de s'esclaffer à en mourir en le voyant tout nu. 

  

  Le cagas échevelé livide, tremblant de tous ses membres, se précipite dré chez lui. Y se couche en se bouchant les oreilles devant la famille Mélou ahurie et y pleurniche:


     .-- Bonne Mère! Des gros mots comme ça, Troun dé Bou Diou,c'est sûr que je ne veux plus jamais les entendre!

     Pendant trois jours, l'immonde coupable,  profit bas, en eut le bati-bati. Il passe son temps à se nettoyer les tympans à l'eau de vie et aussi à se rincer la bouche à l'eau de mélisse.      

     Voilà comment Bess n'a jamais pu décider Tienet à se rendre à l'école. Il a trop peur qu'un vilain corrompu vienne faire son néfaste travail pendant qu'il s'absente.

     Et bien, happy end! C'est le maître qui est venu dès lors deux fois dans la semaine, élèves en tête, pour faire la classe sous la ramé-éheu, c'est-à-dire sous les branchages des oliviers. Et il a comme assistants, tous les chanteurs, siffleurs, gambadeurs et caqueteurs de la forêt, tous ces fameux trois cent soixante cinq oiseaux diaboliques, dit les poumiasses du Faron.

    .-- Et maintenant, termine Granie, c'est l'heure d'aller se coucher et y a pas de non. Je vois les mamans qui font déjà les gros yeux. Demain je vous raconterai l'histoire de la Pie Calculette. Mais demain est un autre jour. 

     Je propose aux enfants d'aller border les tous petits en leur chantant une petite chanson, pendant que les grands m'aideront à finir d'éplucher les haricots pour la soupe de demain. 

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                       CONTE  DE  L'IMPOSSIBLE :

                                La Mère Casse-Burnes.

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     Vers onze heures, la Mère Casse-Burnes a commencé à préparer la panoplie du pique-nique: "Kit de rouge, gras double aux flageolets, et les bretelles pour tenir le pantalon du père.

     Brusquement, devant la musette et ses intérieurs, la congestion lui monte aux oreilles.

     .-- Merde, les enculés nous ont refilé du pain rassis, qu'elle s'écrie... ça fait chier, putain de boulanger. C'est quoi ce bordel ? Faut lui dire une fois pour toute, qu'y faut que ça cesse, Bon Dieu!!!

     Eva la grande fille, belle qu'elle tient tout le lit, renifle un très bon coup d'appréciation, en essuyant le trop plein de la morve sur sa manchette, déjà assez maculée par la crème dessert surgelée de la veille.

     Mais la Mère Casse-Burnes ne se laisse pas abattre par cette ambiance délétère.

     Elle taloche un coup au passage, ça fait du bien, le petit dernier couvert de boutons qui, ne sachant plus où donner de la tête, met un doigt dans son nez pour se calmer, essayant, en allant si loin dans sa recherche, de se décrotter le subconscient.

    .-- Quoi ? Dans ton nez ? Petit dégueulasse ! Encore heureux que ce ne soit pas ailleurs, grommèle la mère surchargée, ployant sous la lourde bourriche d'huîtres de la veille qui commence à tourner de l'oeil.

   Pas la mère, ni la bourriche, mais les bestioles décidées à baver l'eau de mer, sur ses épaules.

   .-- Ce salaud de boulanger, cet enfoiré fermé un jour sur deux... et sa femme toujours en vacances !!! Et ça commence à bien faire avec tous ces étrangers qui débarquent pour manger le pain de chez nous ! Nous, on ne sait même pas ce que c'est les RTT. On a juste le dimanche pour le pique-nique sur le bord de la rivière, entre la décharge et l'usine à gaz. C'est pas du reste ce que je veux dire. On se distrait comme on peut, non ?

    Là-dessus, on entend un chant d'oiseaux. La journée s'annonce tout à fait lumineuse, presque ensoleillée. Mais il ne faut pas trop s'y fier. Il ne faut se fier à rien en vrai. Si on devait se fier bêtement au hasard, ce serait trop grave.

    C'est quand le facteur a sonné que tout a explosé. Le facteur, c'est Marius Cadenège. Mais là, il ne venait pas pour le courrier. Il était dans sa tenue du dimanche, avec le litron et le pantalon mauve taché, témoin de la débauche de la semaine dernière.

    Il ne venait pas en fonctionnaire, que non. Il venait en concurrent de pêche, et en tant que convive du repas de midi dominical. Il apportait comme toujours, la caisse d'apéros et de vins habituels.

   Il venait avec son neveu Crotard, ainsi appelé, à cause qu'il a tout le fond de sa culotte avec de la crotte de boue, qu'on ne sait pas bien d'où qu'elle venait.

  Voilà-t-y pas que Bouzigue, le chien de Crotard, se prend les pattes dans celles du père, et "TOUT" se met à valdinguer, comme qui dirait que la baraque était prise de tremblement avant l'explosion nucléaire.

  La cloison du cagibi se disloque, on ne sait pas pourquoi... bien que ça faisait déjà plusieurs années qu'elle prévenait.

    Et là, alors je vous le dis...

   Oui là, "TOUTE" la collection de tableaux de la mère, faite de photos de vacances, encadrées de nouilles gentiment entrelacées de lasagnes daits avec des spaghettis composés en classe sous la direction de Mademoiselle Julie, se répand dans la chambre...

   On en était donc, à ce moment, à mille lieux de l'épisode du pain rassis, vu que ce dernier avait valsé avec les nouilles et les huîtres sur toute la partie chauve du crâne du père effaré, et au bord de la congestion.

   .-- Oh non ! Pas ça, crie la mère au géniteur de ses enfants. Mon pauvre petit bichon... Tu es blessé ?

    Le mari de la Mère Casse-Burnes, dit Jojo la feuille, et ceci à cause de ses larges oreilles, gît en effet par terre, sous Cadenège en tenue du dimanche et son chien.

    Dans ce cas d'extrême difficulté, que croyez-vous qu'il va se passer ? Le toit de la cahute va-t-il s'envoler ? Le neveu de Cadenège reçoit-il le dentier de son oncle dans son oeil droit? Le chien s'émascule-t-il sous l'opinel ? Horreur ??? Et bien NON ! Comme dans un ralenti de film, les protagonistes de l'affaire, les "toujours" vivanats, plus les objets inanimés devenus animés pour une minute, se laissèrent choir avec élégance sur le tapis, ou ce qui ressemblait vaguement à un tapis qui aurait eté confectionné par une handicapée des membres supérieurs.

   Un silence effrayant se répand dans l'atmosphère. Jusqu'à ce que la Mère Casse-Burnes, incrédule, murmure : .-- Caraboudin ! La caisse du repas n'est même pas cassée et même la bourriche n'a pas une seule écornure ! C'est vraiment miraculeux !

    Alors, Eva sortit de la profondeur de son corsage à fleurs sales, la médaille de la Vierge. Tout le monde resta silencieux et médusé devant la petite lueur sortie du reflet du collier du chien que le métal renvoyait sur l'assistance.

  .-- Ah ben alors souffla la mère, en serrant sa grosse paluche sur les doigts de son chéri de Julot...


  .--Tiens, pour fêter ça, réplique le Julot chéri, je rajoute dans la brouette, une bouteille de calva.

  Enfin soulagé, le petit dernier, de son prénom Agatropoulos, en souvenir d'un arrière-grand-père venu de Grèce pour s'engager ainsi dans la Légion Etrangère, lâcha un pet monstrueux capable de décoiffer à vingt mètres un teckel, qui soulagea toute la compagnie, par personne interposée.

   Les rires bondissant de l'assistance en liesse, se firent entendre par-dessus la décharge, jusqu'au bord de la rivière et les pêcheurs, heureux de savoir que le groupe de retardataires n'allait pas tarder à arriver, se remirent à compter les asticots.

  Une conclusion s'impose.

   Il ne faut jamais croire que tout est perdu d'avance lorsque le sort s'acharne sur vous.

  Un miracle, même si l'on n'y croit qu'à moitié, peut toujours arriver sans crier gare, alors que l'on ne s'y attend pas.

   Même la Mère Casse-Burnes sait le reconnaître.


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                       C O N T E    D ' U N    J O U R  :

                       
Monsieur Rose prend des risques.


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     Cela commença en arrivant pour prendre le train. Sur le quai de la gare, Monsieur Rose, pour éviter un clochard, alla légèrement plus loin que d'habitude et s'assit pour attendre le train au-delà de l'emplacement des voitures du milieu, là où les lumières brillaient plus fort. Il se sentait ému de son audace. Il lui sembla même qu'on le regardait.

     Bravement, il releva la tête. Rien ne lui interdissait de s'asseoir à cet endroit, ou même plus loinencore s'il le désirait. Rien, ni personne. Lui seul savait qu'en vingt ans, c'était la première fois qu'il s'aventurait bien au-delà du distributeur de bonbons. Non qu'il s'en empêcha. Il n'y pensait pas, voilà tout.

    Absorbé par la surprise causée par ces pensées inhabituelles, il monta par mégarde dans le wagon situé à côté de celui qu'il avait l'habitude de prendre. Tout de suite, il sentit une sorte d'hostilité l'environner. Les voyageurs n'étaient pas ceux qui, habituellement, l'accueillaient sans lui prêter attention. Les regards inconnus le jaugeaient avec une indifférence totale, puis se détournaient.

     Rien à voir avec cette sorte de complicité impalpable et convenue qui l'accueillait tous les matins. Il décida de n'y point prendre garde. Toutefois il se laissa une fois ou deux, être déconcerté, d'autant plus qu'il n'avait pas pour se distraire le journal sportif de son voisin habituel. Il pouvait voir celui-ci par les portes étroites du passage vitré, tranquillement absorbé par sa lecture, environné par un halo de quiétude empli de sympathie, sa manche à carreaux négligemment posée sur l'emplacement que lui, Monsieur Rose, aurait dû occuper.

     Au premier arrêt, Monsieur Rose hésita à changer de voiture, balançant un instant devant le risque d'être ridicule. Quelle attitute en effet adopter, dans ce moment délicat? Que penseraient les voyageurs sur le quai, le voyant passer d'un wagon à un autre?

 

     Ils risqueraient de le prendre pour un maniaque. Pis..., peut-être même pour un de ces hommes à l'esprit dérangé qui hoche la tête sans raison, allant dans les moments extrêmes, jusqu'à s'adresser à des interlocuteurs invisibles, ou même jusqu'à pousser des cris inarticulés pour insulter le conducteur. 

    Il ne se sentait pas le courage de rejoindre son wagon habituel. Mais d'autre part rester, équivalait à faire un long voyage inhabituel dans une terrible sensation d'angoisse. Il y avait un risque à prendre, dans un cas comme dans l'autre. Monsieur Rose une fois de plus et courageusement, redressant la tête, décida de rester et même de s'asseoir.
 

     En face de lui, un tout jeune enfant semblait voyager seul. Luxueusement habillé, assis très droit, il rejetait régulièrement en arrière une longue mèche de cheveux blonds qui s'éparpillait en éventail sur son front.  


    Monsieur Rose admira son assurance. Son regard rencontra le sien et ils se sourirent. Tout étourdi par son amabilité irréfléchie, décontenancé par l'inusité de son geste envers un inconnu, fut-ce un enfant, Monsieur Rose se sentit rougir et ne vit pas tout de suite le contrôleur.

    Le petit garçon tendit un billet. Monsieur Rose réalisa alors avec terreur, qu'il était monté en première classe, avec son habituel billet de seconde. Cela se passait dans le temps où sur cette ligne de banlieue, les trains se départageaient en riches et pauvres voyageurs. En un éclair il se vit traîné de force hors du convoi, amené comme un coupable devant le chef de gare, obligé de décliner son identité, son adresse, sa profession. Et surtout d'avouer au contrôleur dressé devant lui:
      
        
    .--  Je n'ai pas...

    Sa gorge se noua. Il pensa ne jamais pouvoir dire cette phrase et peut-être même ne plus jamais pouvoir parler du tout à l'avenir. Le silence s'éternisait. Le contrôleur surpris, tendait toujours la main.

     Tout à coup, l'enfant sans que rien ne puisse le laisser prévoir, montra une carte d'abonnement justifiant sa présence accompagnée d'un adulte. C'était tellement inespéré que Monsieur Rose resta sans réaction.

    Le trajet était long. Le paysage défilait dans la lumière du jour. Essayant de reprendre des forces, Monsieur ne regardait rien. Les deux ouvriers zingueurs, la vieille dame asthmatique, la grosse dactylo et les autres, tous de la voiture de seconde classe, allaient le voir descendre de la voiture luxueuse. 

     Ils l'interrogeraient du regard pour ce changement. Mais Monsieur Rose se décida à affronter l'inexprimable. Il se leva fermement. L'enfant le suivait. Ils descendirent ensemble du train.
   

     .--  Puis-je vous accompagner, Monsieur? Le jeune garçon parlait d'une voix claire. Encore une fois, Monsieur Rose fut surpris par cette audace. Puis il se souvint qu'il devait quelque chose à l'enfant. Ce devait être pour ça.
   

     Il se pencha. Les yeux clairs le regardaient bien en face. En baissant la tête par deux fois pour le remercier, il tendit quelques pièces de monnaie qui furent refusées. Alors il partit vite sans répondre à la question de son sauveur. C'était curieux et même déplaisant de penser que des parents pouvaient laisser un si petit enfant voyager seul. Il est vrai qu'il semblait bien se débrouiller. Beaucoup mieux que lui-même, peut-être.

     Monsieur Rose fit, d'un pas assez assuré, le trajet qui le menait à son travail en soirée. Il se sentait de nouveau assez bien. Il n'avait pas froid. Il était possible même, qu'il eut un peu trop chaud. Il décida, audacieusement, d'enlever sa ceinture de flanelle aujourd'hui même, malgré les conseils de sa femme: "En avril, ne te découvre pas d'un fil".

      Dès son arrivée à sa cabine, il mit son projet à exécution et avant même de revêtir sa salopette, il ajusta son casque, ses lunettes, enfila ses bottes avec plus de fermeté que d'habitude.

      En marchant sur la piste du cirque dans la sciure jusqu'à l'obus qui l'attendait, bien que prêt à entrer dans le canon, une pensée l'obséda pendant le quart d'heure que dura la représentation du saut de la mort de son numéro d'homme-fusée.
     La machine fonctionna impeccablement. Le triple saut périlleux fut magnifique. Le filet le reçut juste assez tard pour faire courir un frisson sur l'échine des admirateurs domptés.

     Le spectacle fut, comme d'habitude, parfait. Ce même spectacle, depuis vingt ans.

     En arrivant dans les coulisses, devant la cage aux fauves, le petit garçon blond l'attendait avec son regard brillant.

     .--  Je vous avais reconnu, Monsieur Rose. Je viens ici avec mon petit frère, tous les mercredis.

     Mais Monsieur Rose  eut un frisson de terreur. Il savait ce qui n'allait pas depuis tout à l'heure. Les picotements de son nez l'avertirent avant l'éternuement. Sa femme avait raison. Il avait pris un trop grand risque en enlevant sa ceinture de flanelle. C'était de la folie. Il en bégaya.

     Le petit garçon lui prit la main. Monsieur Rose le regarda avec reconnaissance.

     .--  Si vous voulez, on peut rentrer ensemble. J'habite près de chez vous.

     Monsieur Rose fut rassuré. Il n'avait pas peur de se tromper encore de wagon, avec cet ange gardien plein d'assurance. De repenser à son émotion de tout à l'heure, l'angoisse. La crainte d'un autre danger lui   serra la gorge et lui piqua les yeux.

     Aurait-il pris froid? Mon Dieu! Pourvu qu'il y ait du thé chaud à la maison. Il écoutera les conseils de sa femme dorénavant. Il avait pris bien trop de risques aujourd'hui.


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